La réaction de la petite brune arracha un sourire amusé au Serpent. Ça n’avait pas été son intention de la réduire au silence. Il aurait au contraire aimé savoir dès maintenant ce qui l’avait poussé à venir le déranger une fois de plus. Mais comme toujours, cela ne devait pas être bien important.
Après avoir vérifié une dernière fois que tout pli de tissu, bouton et couture étaient à leur place, Evan se tourna vers Ada Bethney. Elle avait reculé et maintenait inconsciemment le gros grimoire devant elle comme un bouclier de fortune. La vue n’était pas très glorieuse. Le Serpentard se retint de soupirer en voyant la lueur d’inquiétude et de peur qui brillait dans ses grands yeux bleus.
D’ordinaire, cela l’aurait plutôt flatté, preuve qu’il avait assez bien éduqué la jeune demoiselle. Mais ce matin là cela l’agaçait plutôt. Ne pouvait-elle se comporter normalement quelques fois ?
Elle l’encouragea de quelques mots timides mais cela n’aida en rien Evan Rosier. Lui qui n’avait jamais de problème pour exprimer ses pensées ou ses mensonges, il se rendit compte aux paroles d’Ada qu’il n’avait aucunement envie de lui parler.
Il savait ce qu’il avait l’intention de lui dire. Les mots étaient aussi clairs que l’encre sur le parchemin, mais ils ne semblaient vouloir couler jusqu’à ses lèvres. Qu’est-ce qui le retenait ? Était-ce l’anticipation de la réaction prévisible et agaçante d’Ada Bethney qui le dérangeait déjà tant ? Où était-ce les mots eux-mêmes ?
Le silence d’Evan Rosier vint lui aussi comme un encouragement pour Ada Bethney à s’exprimer.
Elle s’excusa, ou pas vraiment. Expliquant son départ prochain de Poudlard, elle exposa simplement le fait qu’elle ne traînerait plus dans ses pattes. Elle ne se remettait pas en cause, ni tentait de jauger la réaction d’Evan Rosier. Elle mettait simplement fin à cette étrange relation qu’était la leur. Un drôle de rêve. “Rêve” disait-elle alors que pour elle l’aventure relevait sûrement du cauchemar. Ada Bethney n’était plus un jouet et redevenait une jeune femme. Il était temps de rejoindre la réalité.
Evan Rosier cligna des yeux. Inconsciemment il avait entrouvert les lèvres, comme si les mots d’Ada avaient été les siens. Car ils étaient les même, quasiment, que ceux écris dans son cerveau et qui n’attendaient que de sortir. Ses mots, sa volonté, son plan. Et elle venait de tout gâcher, tout faire par elle même et briser les petits plans d’Evan sans même s’en rendre compte.
En la voyant tourner la tête vers la porte, la baguette du Serpent s’anima d’un soubresaut et d’un geste vif, il verrouilla la porte de la chambre. Pourquoi ? Allait-il lui faire payer l’affront qu’elle commettait en lui ôtant les mots de la bouche ? Allait-il l’empêcher de prendre congé de lui et la forcer à rester son jouet, son souffre-douleur ? Evan l’observa sans vraiment être certain de ses propres intentions. Il ne voulait juste pas qu’elle parte. Pas avant qu’il réussissent enfin à sortir quelques foutus mots de sa bouche. Mais toujours rien.
Figé par son propre silence, Evan sentit la colère et la frustration monter en lui. Pourquoi les mots gravés dans sa têtes ne daignait pas émettre le moindre son ? Il pouvait les voir, les entendre dans sa propre tête, mais ne parvenait pas à les transmettre à Ada.
- La réalité… dit-il mais sa voix incertaine ne parvint à rebondir sur ce simple mot.
Peut-être est-il temps d’arrêter de jouer, Evan. Ces mots raisonnaient dans sa tête, comme une force le pressant d’en finir. De la congédier et de la regarder quitter cette chambre et ce château en sachant que plus jamais Ada Bethney ne serait un problème pour lui.
Mais alors qu’il la regardait, debout là devant lui, il ne pouvait de résoudre à prononcer ces mots. Voilà pourquoi il ne parvenait pas à dire ces mots préparés dans son esprit. Il ne voulait pas la voir partir. Et s’il y avait bien une personne à qui Evan Rosier refusait de mentir, c’était à lui même. Ces mots n’étaient pas les siens.
- Ada. dit-il alors enfin d’une voix un peu plus tinté de son assurance habituelle. De ses doigts fins, il vint guider le visage de la demoiselle pour qu’elle lui fasse face. Il plongea son regard troublé dans le sien et l’observa un instant silencieusement comme s’il tentait de trouver quelque chose dans ses grands yeux bleus.
- Pourquoi ne pourrais-tu convenir ? questionna-t-il alors sans vraiment s’adresser à elle.
Son regard détailla son visage fin, ses cils et ses cheveux si noirs, ses lèvres roses et son regard brillant. Une poupée de porcelaine dans lequel se cachait un être énigmatique. Une danseuse endiablée qui tour à tour faisait preuve de folie disgracieuse et de talent délicat.
Ne pouvait-elle convenir ?Alors que son regard glissa sur la courbe de son cou, la baguette d’Evan glissa le long des hanches de la Serpentarde, transformant ses vêtements en une élégante robe de soie noire. Des joyaux émeraudes vinrent accommoder le tissu fin et et doux de la robe et encadrer le visage de la jeune fille sous la forme de boucles d’oreilles pendantes. Même son maquillage habituel avait été remplacé par un plus élégant et léger, dessinant des longs cils courbés et juste assez sombre pour faire ressortir ses yeux.
Lui tournant lentement autour, Evan se permit même de découvrir les clavicules blanches de la demoiselle en écartant délicatement ses cheveux. Le jeune homme la détaillait avec précision mais son expression n’étaient pas admiratrice ou envoûté. Simplement troublé par cette même question à lui même.
- Ne saurais-tu me convenir ? demanda-t-il à nouveau en cherchant cette fois-ci le regard de cette Ada transformée. L’Ada qu’elle aurait peut-être été si la vie et son oncle n’en avait décidé autrement. Ada Bethney, une sang-pur, si élégante, si maligne.
Si convenable. Ne pourrais-tu pas être convenable, pour moi ? lui demanda-t-il cette fois vraiment dans un souffle, comme une requête inavouable.
Cette fois-ci les mots lui filaient entre les lèvres sans que le Serpent soir vraiment sûr d’en agréer tous les sens. Pourtant, il refusa de brider ses propres paroles, ses intentions, ses actions. Se penchant vers elle, il guida ses lèvres vers les siennes et déposa un court mais doux baiser.
Un troisième pour eux mais une toute nouvelle sensation. Pas tant de passion ou d’amertume, mais une douceur amicale, une complicité qui dans le conflit avait su se faire discrète. Et pourtant elle était là, les poussant à rester ensemble malgré le fait que tous les deux feraient mieux de rester loin l’un de l’autre.
- M’aimes-tu, Ada Bethney ? demanda-t-il alors d’une voix douce alors qu’il plongea son regard gris dans le sien une nouvelle fois.